EPINETTE ITALIENNE XVIème siècle

Léonora d’Esté,  (1515-1575) princesse, nonne et musicienne.

Le décor à la feuille d’or peint sur la gorge et le pourtour de la caisse représente des pampres dorés où sont disposés des oiseaux exotiques.

On trouve le descriptif de ce décor dans le livre de compte de la « Camora Ducalo Munigione e Fabrichi » du 14 octobre 1536 dans lequel on peut lire qu’il a été demandé à l’atelier de Tommaso da Trevisio le jeune de s’occuper de la décoration d’une épinette pour la nonne Eleonora d’Este. Elle est peinte avec des faisans et des feuillages dorées…

Le clavier possède des marches plaquées de nacre et des feintes décorées de motifs géométriques. La peinture à l’intérieur du couvercle, montre dans sa partie supérieure les sept flammes des Méditations de Saint Bernardin de Sienne (1380-1444) sur les paroles de la Vierge Marie considérées comme sept flammes sacrées. On retrouve la présence de ces sept flammes dans les sept armes spirituelles contre le mal, enseignées par Sainte Catherine de Bologne, (c.1413-1463) chargée de la formation des novices au couvent de Ferrare dans lequel Eleonore d’Este prononcera ses vœux.

Epinette de table caractéristique des modèles joués au XVIème siècle pour accompagner le chant.

Le clavier de 45 notes (Mi-Do) présente des marches plaquées de nacre et des feintes peintes en noir portant des traces de motifs dorés.

La table de résonance est construite en épicéa, fait rare à cette époque, (1) pour laquelle l’usage du cyprès était la norme. (Le recours à l’épicéa tendra à se généraliser seulement au siècle suivant.)

La rosace à deux niveaux est en parchemin découpé.

Les côtés de la caisse sont en cyprès, selon l’usage, et l’instrument proprement dit est logé dans un coffret de protection et de présentation caractéristique de la facture italienne.

L’abattant du clavier, doré sur sa face intérieure, supporte un lutrin pliant, décoré des mêmes motifs que ceux des feintes.

Ce lutrin  peut se poser directement sur l’instrument afin de permettre la lecture de la partition en même temps que son exécution. (2)

Le décor en feuille d’or peint sur la gorge et le pourtour de la caisse représente des pampres dorés où sont disposés des oiseaux exotiques.

Ce décor est décrit dans le livre de compte de la « Camora Ducalo Munigione e Fabrichi » du 14 octobre 1536 dans lequel on peut lire qu’il a été demandé à l’atelier de Tommaso da Trevisio le jeune de s’occuper de la décoration d’une épinette pour la nonne Eleonore d’Este. Elle est peinte avec des faisans et des feuillages dorées…(3)

Cette épinette est le seul modèle répertorié qui possède ce décor original dont les motifs dorés sont repris sur le pourtour de la table.

Le chant des éclisses et le chapiteau sont également enrichis de petits cabochons tournés en ivoire. Si cette mode est régulière sur les claviers italiens de la Renaissance, l’usage de l’ivoire plutôt que l’os est exceptionnel.

La peinture intérieure du couvercle, typique de l’école de Mantoue, représente une orante, (Sainte Catherine de Bologne ?) entourée d’anges musiciens jouant des instruments de l’époque ; Flute douce, cornet à bouquin, basse de viole.

Joueurs de flûte douce et de cornet à bouquin.

Le tableau présente dans sa partie supérieure les sept flammes des Méditations de Saint Bernardin de Sienne (1380-1444) sur les paroles de la Vierge Marie considérées comme sept flammes sacrées. Bernardin de Sienne fut prédicateur à Ferrare en 1417, durant l’épidémie de peste.

On ne peut s’empêcher de rapprocher ces sept flammes des sept armes spirituelles,  contre le mal, expliquées par Sainte Catherine de Bologne, (c.1413-1463) vouée à la formation des novices au couvent de Ferrare dans lequel Eleonore d’Este prononcera ses vœux.

La caisse est recouverte d’un velours de soie cramoisi, fortement insolé. La trace d’une réserve en passementerie dorée est visible sur chaque face et le chiffre de la famille surmonté d’une couronne ducale est brodé au fil d’or au centre du couvercle. (4)

Cet instrument a été attribué à Alessandro Trasuntino (c.1485 – c.1545) qui, vers 1534, habite à proximité de la « Chiesa de la salute » à Este. (5)

Il se lie d’amitié avec Pietro Aretino (1492-1556) comme en témoigne cette lettre envoyée de Venise, le 7 avril 1540, dans laquelle « l’Arétin » semble faire référence à un projet de collaboration entre Trasuntino et le Titien.

« A Monsieur Allessandro [Trasuntino] des orgues [que je considère ici comme un frère] j’ai établi entre vous, qui êtes la lumière de votre art et Tiziano qui est la splendeur de son métier le pacte le plus louable, le plus honorable et le plus gracieux qu’entre deux [personnages] si nobles, si gentils et si fougueux pourrait-il jamais s’établir.

C’est en ce cas que vous devez pour lui faire fonctionner une de ces machines, qui avec la douce harmonie mettent les âmes en proie à l’extase et qu’en échange de cela il doit vous donner un de ces exemplaires, qui avec la nature vive ramène les êtres dans les bras de la stupeur. Mais comme l’ingéniosité des hommes excellents ne s’exerce que dans le temps, il m’a semblé que je mettais un délai de deux mois entre l’achèvement de son ouvrage et le vôtre. En attendant, la vue et l’ouïe (prioritaires aux autres sens) sont censés être compris dans le clavecin que vous ferez de lui et dans le portrait qu’il fera de vous, but ultime de la perfection qui s’impose dans une chose et dans l’autre. Bien que cela fasse rêver combien d’images et combien d’outils ne sortiront jamais de son seul pinceau et de vos seules mains ? (6)

Virginal de Giovanni Celestini, daté1593.

Royal College of Music, Londres. (RCM 176)

La caisse de l’instrument est recouverte du même velours cramoisi et fortement insolé.

Entre 1626 et 1627, de nombreux objets appartenant à la famille Gonzague, alors lourdement endettée, ont été vendus. Le marchand d’art flamand Daniel Nijs (ou Nys) (1572-1647) résidant à Venise, a organisé la vente d’une grande partie de la collection des ducs de Mantoue dans le cadre du plus grand contrat d’art du XVIIe siècle. Son rôle dans l’approvisionnement régulier des Gonzague en bijoux et objets de luxe lui avait ouvert les portes de la Maison d’Este et fait prendre conscience qu’elle pouvait être intéressée par une offre d’achat de ses œuvres d’art, eu égard à l’importance des dettes accumulées.

Le chancelier de Mantoue, Alessandro Striggio (1573-1630)  (fils du compositeur) a négocié à plusieurs reprises le contenu de la vente et le prix des objets, avant que Nijs n’achève finalement la transaction en acceptant de payer le successeur de Ferdinando Gonzague, Vicenzo II, pour un nombre substantiel de tableaux, de sculptures et d’objets d’art.

L’épinette est alors entrée en possession de l’une des anciennes familles nobles de Mantoue où elle a été conservée jusqu’au XXe siècle.

Fille d’Alphonse Ier d’Este et de Lucrèce Borgia,  Léonora d’Esté (née le 4 juillet 1515 à Ferrare et morte en 1575 dans cette même ville) est une princesse italienne du duché de Ferrare. Elle fut notamment l’une des protectrices du Tasse.

Son grand-père maternel était le pape Alexandre VI ; son oncle était César Borgia – prince italien de la Renaissance de la maison des Borgia. Elle perdit sa mère à l’âge de 4 ans, et fut la seule fille à survivre à ses deux parents.

Elle entra dans les ordres au couvent Corpus Domini de Ferrare, au no 4 de la via Pergolato ; elle y a été inhumée aux côtés de sa mère Lucrèce et d’autres membres de sa famille.

En 1543, Girolamo Scotto de Venise publie un recueil de 43 motets religieux sous le titre Musica quinque vocum : motetta materna lingua vocata. (« Musique à cinq voix : Mottets chantés (« parlés ») dans la langue maternelle ») Il n’y a aucune indication à propos de l’auteur dans cette publication.

Suite aux travaux de Laurie Stras, (Université de Southampton)  il apparait que c’est en fait l’œuvre de Leonora d’Este, triplement disqualifiée pour être nommée à cette époque : femme, princesse et nonne…

De petite taille, cette épinette n’est pas un instrument de concert, mais correspond à un usage personnel, propre à la composition pour le chant ou l’orgue.

Les données collectées concernant la facture de l’instrument, le thème de la peinture, ses références religieuses ainsi que l’origine de son école, se rapportent toutes à la ville de Ferrare durant le XVIème siècle.

La modernité de sa construction et le prestige des matériaux, indiquent la commande d’une famille de très haut lignage, de même que l’usage de fils d’or et la présence de la couronne ducale.

La conformité du décor avec la commande décrite dans le livre de compte de la famille d’Esté nous permet d’attribuer cette épinette à la nonne musicienne Léonora d’Esté de Ferrare.

Etat de conservation :

Du fait de la protection donnée par son coffret l’instrument est dans un bon état de conservation.

Certaines parties des placages de nacre décorant les touches ont été remplacées.

Des sautereaux ont été refaits.

La peinture sur toile décorant l’intérieur du couvercle présente des traces de restauration.

 

Provenance :

  • Acheté en Italie dans la deuxième moitié du XXème siècle.
  • Collection privée, Londres.

Dimensions : Instrument proprement dit : 72,5cm x 35cm x 13,7cm.

                          Instrument dans son coffret : 78cm x 39cm x 18cm