Attribué à Honoré DERAZEY, 1794 – 1883.

Le fond, en deux parties d’érable ondé, est entouré d’un double filet et sculpté en bas relief de motifs floraux  disposés au sommet ainsi qu’aux quatre coins. La partie inférieure est décorée d’une large marqueterie d’ivoire, de nacre et de différentes essences, représentant une vue de Jérusalem, inspirée de gravures Renaissance. (1) 

Une décalcomanie polychrome figurant, dans le style « chinoiserie », la cérémonie du thé, orne la partie centrale. (2)

Les éclisses, en érable aux ondes resserrées, sont gravées de l’inscription latine: « Viva fui in silvis, dum mortua, dulce cano ». (3)

La table en épicéa est décorée des mêmes écoinçons à motifs floraux ainsi que d’un double filet.

Le manche est enté dans le cheviller. Ce dernier est sculpté d’une tête de vieillard, sensée représenter Gaspard Duiffopruggar. (4)

Longueur du corps: 36,2cm

 

Jean Joseph Honoré DERAZEY, fit son apprentissage à Mirecourt avant de travailler chez des luthiers parisiens. Excellent ouvrier, il devint vers 1830 un collaborateur précieux pour Jean-Baptiste Vuillaume qui lui confia l’essentiel de la fabrication des « instruments anciens ». Inspirée des oeuvres de Gaspard Duiffopruggar et de Gasparo da Salo, ou plutôt imaginée, l’esthétique de ces violons illustre surtout l’interprétation du style Renaissance au XIXème siècle, pour ne pas dire son invention, au même titre que celle de ces luthiers considérés à l’époque comme les inventeurs de l’instrument.

 

(1) Nous n’avons pu jusque là retrouver une gravure (une tapisserie ou un tableau) ayant servi directement de modèle à ces décors. Il n’en existe certainement pas eu égard aux différentes versions représentées au dos des instruments de Derazey.  Outre la forme à l’évidence orientaliste du cartouche dans lequel s’inscrit la marqueterie, plusieurs raisons nous poussent à considérer qu’il s’agit de Jérusalem: La présence de minarets, les dômes sans croix couvrant les bâtiments ainsi que la disposition de ces derniers… Entre autres références, cette représentation du Saint Sépulcre par Bernhard von Breidenbach, qu’on peut rapprocher de la partie centrale de notre marqueterie.

 

 

                                http://u.jimdo.com/www300/o/sacf592fd543252ef/img/i73fdd67deca649e0/1309111103/std/gravure-du-saint-s%C3%A9pulcre-de-j%C3%A9rusalem-tir%C3%A9e-des-sainctes-peregrinations-de-jerusalem-et-ses-environs-lyon-michelet-topie-et-jacques-heremberck-1488-source-gallica.jpg

                             

in « Des sainctes peregrinations de Jerusalem et ses environs », traduit en français par Nicolas Le Huin en 1488,

                      Lyon, Michelet Topie et Jacques Heremberck, (1488), source : Gallica.

 

Par ailleurs, le succès de « la Jérusalem délivrée » du Tasse, à la fin du XVIème siècle fut tel que la représentation de la ville devint une des figures de référence dans l’iconographie de l’époque et que l’oeuvre donna (et donnera) lieu à de nombreuses compositions musicales, notamment « le combat de Tancrède et Clorinde » de Monteverdi, « Armide », de Vivaldi, Lully ou Gluck, « Rinaldo » de Haendel etc…

Enfin il ne nous semble pas inopportun de rappeler la place de Jérusalem et du Temple dans la symbolique maçonnique, eu égard à la place des loges dans le milieu de la facture instrumentale au XIXème siècle, notamment à Mirecourt.

 

(2) Il apparait qu’à l’époque usage des décalcomanies soit répandu auprès des luthiers, chez Vuillaume notamment. Le modèle présent lui est contemporain mais ne semble pas avoir décoré dès l’origine cet instrument.

 

(3) « Je fus vivant en forêt, mort à présent, je chante doucement »… Formule inspirée de celle présente sur la gravure de Pierre Woieriot de Bouzey, publiée en 1562, représentant « Gaspard Duiffoprougcar », et qui allait donné lieu à de nombreuses « découvertes » d’instruments fabuleux (pour le moins!) « Viva fui in Sylvis, sum dura occisa securi, Dum vixi tacui, mortua dulce cano ».

 

(4) Duiffopruggar, ou Duyffoprougcar ou plus probablement Tieffenbrucker, est le nom d’une célèbre dynastie de luthiers d’origine allemande ayant travaillé également en France et en Italie.

A l’époque considéré par les français comme un luthier français, puis revendiqué par les allemands comme luthier allemand, tous s’accordent à lui attribuer l’invention du violon, au travers d’une biographie quelque peu fantaisiste…

 

Bibliographie:

– Roger MILLANT: J. B. Vuillaume, sa vie et son œuvre ». W.E. Hill & sons, London 1972.

– René VANNES: Dictionnaire universel des luthiers ». Les amis de la musique, Bruxelles 1979.

– Karel MOENS: Vuillaume et les premiers luthiers. Catalogue d’exposition Vuillaume, Cité de la musique, Paris 1999.

 

Provenance: Ancienne collection du luthier Charles Enel, (1880 – 1954)

 

 

 

 

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